Mats & Morgan

Au cours des années quatre-vingt dix, la scène scandinave s'est montrée particulièrement prolifique. Mais plus encore, particulièrement inspirée, nous livrant une ribambelle de formations se disputant des places de choix parmi les premières du renouveau progressif. Le duo magique qui nous occupe a pourtant tout ce qu'il faut pour y figurer, et en bonne position. Sa musique, plus exigeante et ne se laissant pas facilement mettre en boîte, continue, envers et contre tout, à les maintenir hors compétition. Et c'est tant mieux, parce qu'effectivement, à un tel niveau, il vaut mieux les mettre hors course, car avec une réussite aussi insolente, bientôt ils emporteront toutes les places les plus hautes !

Faisons donc les présentations : à ma droite Mats ÖBERG, à ma gauche Morgan AGREN. A ma droite, un jeune homme, aveugle de naissance, qui s'est réfugié très tôt dans la musique, assimilant avec une facilité déconcertante les oeuvres les plus abouties d'artistes divers comme Frank ZAPPA, Miles DAVIS ou EARTH WIND & FIRE. A ma gauche, une grande tête blonde aux cheveux bouclés dont l'agilité derrière ses fûts à de quoi en décontenancer plus d'un. La rencontre entre ces deux lumières que le destin semblait avoir pris sous son aile, débuta très tôt, et tout à fait par hasard. En 1981, Morgan, alors âgé de 14 ans, fût mis en contact avec Mats, de quatre ans son cadet, parce que ce dernier était sur le point de se produire lors d'un concert et qu'il ne trouvait personne pour l'accompagner. Très vite, les deux garçons se sont aperçus qu'ils avaient des goûts en commun et décidèrent de monter sur scène sans aucune préparation, tablant sur un répertoire commun, allant des BEATLES  à Stevie WONDER en passant par ZAPPA, encore lui. Le petit set de 20 minutes fût tellement concluant qu'ils n'en restèrent pas là, bien sûr, et continuèrent donc de travailler à deux.

On peut d'ailleurs écouter les prémices de cette collaboration sur The Teenage Tapes, publié sur UAE en 1998, et parcourant en 28 titres plus de dix ans de passion musicale, de 1981 à 1994. On y devine déjà un humour très Zappaesque de par ses plages de courte durée comme autant de petits sketches. Et puis, cette influence Zappaesque est non seulement revendiquée mais aussi essentielle à l'histoire de nos deux compères : mordus absolus du bonhomme, ils montèrent dès 1984 un groupe de reprise appelé ZAPPSTEETOOT et, plus important encore, en 1988, lors du passage de ZAPPA en Suède pour la tournée Broadway the Hard Way, ils eurent le privilège de le rencontrer, mieux ; de jouer avec lui sur scène l'incroyable T'Mershi Duween ! Cet amour immodéré pour le bonhomme les amena à participer au Zappa Tribute en 1991 aux côtés des fidèles Scott THUNES et Mike KENEALLY. Le résultat ne sera malheureusement pas à la hauteur des espérances. Ce sera toutefois la première publication officielle où Mats et Morgan font leur apparition. Un projet semblable, mais réussi, verra le jour sous le titre The Music of Captain Beefheart en 1995, enregistré en concert avec Denny WALLEY.

Il faudra attendre 1996 pour que soit publié leur premier véritable album, Trends and Other Diseases, une véritable claque de dix huit titres où ils élargissent la formation à Fredrik THORDENTAL, Johan GRANSTRÖM et le frère de Morgan, Jimmy AGREN. Trash, pop, funk, jazz, avant garde, leur musique est tout cela à la fois. Elle prend l'auditeur au dépourvu, qui va de surprise en surprise. The Music or the Money sorti en 1997 pousse la logique plus loin ; le duo s'octroie un disque chacun. Le premier cd, Mats, présente les compositions du jeune claviériste. Les arrangements sont d'un
raffinement extrême et les compositions semblent avoir un côté plus immédiat et abordable, donnant même, de ci, de là,  quelques touches Canterburienne bien venue. Sa voix reste agréable et est teintée de soul, ce qui ne fait pas l'unanimité mais qui, à mon humble avis, donne au tout une coloration qui participe à sa singularité. Le second disque, Morgan, est le pied de nez musical de cet essai ; absolument renversant et instrumental de bout en bout, il tire profit de toutes les technologies actuelles (systèmes midi et informatiques en tête) pour créer une musique toute personnelle qui s'apparente parfois à ce qui pourrait être de la drum'n'bass acoustique (Watch Me Pleasure) !

Toujours aussi prolifiques et partis sur leur lancée, paraît en 1998 Radio Da Da qui se révèle être un album assez difficile et que je ne recommanderais pas comme entrée en matière, l'ensemble paraissant, en dépit de moments fulgurants de beauté, assez austère. Alors qu'on attend toujours une suite aux aventures de nos compères, propriétaires de leur propre maison de disque, Ultimate Audio Entertainment, ils sortent en attendant un excellentissime album en concert en 2001 qui revisite au passage des titres de leur répertoire, tout à fait méconnaissables suite aux arrangements subis en compagnie de, outre Jimmy AGREN, Eric CARLSSON et Robert ElOVSSON aux claviers, et Tommy THORDSSON à la basse. Live est absolument soufflant, animé d'une folie furieuse qui passe sur l'auditeur et qui ne lâche pas la grappe durant plus d'une heure.

Si vous ne connaissiez pas le duo Mats/Morgan, vous n'avez à présent plus la moindre petite excuse.

(D.S)

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