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Peter Gabriel

 

La toute récente remise sur les rails (esperons-le) de la carrière de Peter GABRIEL nous permet d'envoyer un grand coup de rétroprojecteur sur sa déjà longue carrière, somme toute avare en disques, et qui semble avoir choisi comme moto de privilégier qualité à quantité. Tout commence par la fin. La fin de l'aventure GENESIS, qu'il quitte, si pas en pleine gloire, en tout cas, à pleine mâturation artistique. Les textes du double concept album The Lamb Lies Down On Broadway sont d'ailleurs issus de sa plume, si bien que l'on se plait à le voir comme son premier travail solo. Il n'en est rien. Fatigué par la machine imposante que le groupe commençait à devenir (c'est l'excuse officielle, mais qu'aurait-il dit s'il avait du prendre part aux tournées Invisible Touch et We Can't Dance ?), GABRIEL préfère tout simplement se faire oublier. Son vieux groupe continuera à publier des disques, ma foi, de très bonne facture, si pas supérieurs, mais les fans ne peuvent raisonnablement pas effacer de leur mémoire l'homme aux mille costumes avec qui ils lieront, bon gré mal gré, une relation passionnelle et tenace. C'est en endossant une nouvelle fois le rôle d'un jeune révolté des zones urbaines, perfecto sur le dos, que GABRIEL fait ses retrouvailles avec la scène. Dynamique, sautillant, engagé, l'énergie retrouvée qu'il véhicule ne transparaîtra hélas pas sur son premier album sans titre qui date de 1977, en plein boum punk. On y devine, plus qu'on ne voit, un Peter GABRIEL réfugié dans l'intérieur cosy d'une voiture qui le protège de la pluie. D'ailleurs, il lui faudra du temps pour s'assumer complètement, et c'est au gré de ses perégrinations experimentales aux travers d'albums toujours aussi touffus que personnels que GABRIEL accomplira son chemin jusqu'à nous.

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Produit par Bob EZRIN, son premier manifeste est, comme on s'y attend, très bien produit : avec ses arrangements pour orchestre, il respire sophistication et recherche perpetuelle d'équilibre dans la balance, stigmatisé par la présence des deux guitaristes fétiches de Lou REED, Steve HUNTER et Dick WAGNER, qui volent la vedette aux autres invités prestigieux qui se bousculent à l'affiche. Ce choix ne fait qu'accentuer le côté lyrique dont le disque tout entier est empli, et nous donne droit à de formidables envolées que l'on retrouve aussi bien sur les plages les plus intimistes (Humdrum) que sur les pièces de prime abord plus baroques (Down the Dolce Vita).

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Un an plus tard, GABRIEL remet les couverts. En confiant le rôle de producteur à Robert FRIPP, il cherche volontairement à provoquer la mise en place d'une optique différente. Son second disque, toujours sans nom, sur la pochette duquelle on ne distingue toujours pas clairement le visage de GABRIEL derrière des coups de griffes virtuels prodigués par ses propres soins, est plus rude. Cette production plus terne, sans relief, lui a toujours été reproché et à raison. Les compositions proposées ici s'éloignent déjà de l'esbrouffe présent sur son premier disque qui, par là-même, contenaient encore des relans d'esthétisme progressif. Cet album y échappe complètement alors que l'affiche pourrait faire penser juste le contraire. Il se veut un disque moderne, en phase avec son temps, et qui dépeint la noirceur ambiante des grandes cités americaines. Ici aussi, plus que sur son précédent essai, il se focalise sur l'écriture des textes, parfois profondement cyniques (Home Sweet Home), plutôt que sur une composition farfouillée des musiques. L'équipe David RHODES (guitare), Tony LEVIN (chapman stick) et Jerry MAROTTA (batterie) est ici au complet et va devenir la formation solide sur laquelle il pourra toujours compter. GABRIEL l'avoue lui même ; ce n'est qu'avec son troisième album qu'il trouvera enfin ses marques.

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Pourtant, son visage est cette fois purement et simplement défiguré par les mauvais traitement d'un développement Polaroid. Avec ce disque, GABRIEL ouvre la voie  royale à la musique synthétique des années 80 qu'il mène de front, voire de concert, avec XTC et les TALKING HEADS. Cette fois, il veut que ça sonne, et pour passer ce mur du son, il fait appel à Steve LILLYWHITE, grand spécialiste dans ce domaine. A l'instar du KING CRIMSON fraîchement reformé, les parties de batterie se passeront des résonnances scintillantes des cymbales pour se focaliser sur les temps forts, marqués par le martelement des peaux. On en vient presque à un rapport tribal, et c'est précisement ce que GABRIEL recherche, comme il nous le montrera par la suite. Les rythmiques sont carrées mais surpuissantes (Intruder, No Self Control, I Don't Remember, Not One of Us), les compositions sont à l'avenant. Ce nouveau disque introduira aussi une nouvelle donne, et une donne importante : avec Biko, GABRIEL signe là un véritable plaidoyer anti-Apartheid qui illustre à la fois son implication concernée et son influence prépondérante au regard des nombreuses émules qui viendront à sa suite. De plus en plus intéressé par les musiques africaines, GABRIEL fait quelques voyages au Sénégal d'où il ramenera des bandes audio d'enregistrements sur le terrain. Il ramenera également sa passion pour ses musiques sur le continent Européen où il organisera le festival Womad, rencontre des musiques occidentales et mondiales, première pierre du pont culturel qu'il va ériger entre deux civilisations, et, surtout, cinglant échec, qui le mit presque en banqueroute.

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Le quatrième album sort en 1982 qui, après Solsburry Hill et Games without Frontiers, contient un nouveau tube en la personne de Shock the Monkey. Sur la pochette, Peter est méconnaissable. On laisse notre imagination voguer sur cette image floue qui ressemble plus à un masque africain. Et tout l'album, baptisé contre son gré Security de l'autre côté de l'Atlantique, porte la marque de cette obsession du rythme tribal, presque vaudou (The Rhythm of the Heat, Lay Your Hands on Me! ). L'atmosphère du disque est pesante, menaçante, lourde. Et GABRIEL y accomplit une fois encore une merveille de croisement entre succès critique, artistique et public. Un témoignage de sa tournée où, pour la dernière fois, il sortira maquillé, sera publié un an plus tard sur le double Plays Live.

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En attendant, GABRIEL est approché par le réalisateur anglais Alan PARKER afin de signer la musique de son prochain film, Birdy. GABRIEL s'y colle en remaniant ses travaux issus de ses deux derniers albums qui firent une grosse impression sur le réalisateur. Même dépourvu de leur chant, les plages, rebaptisées, gardent leur force et leur pouvoir d'évocation intact. L'expérience est concluante et ne constitue, là aussi, qu'une étape vers un accomplissement futur que l'on peut deviner déjà sur les vocalises de Sketchpad With Trumpet and Voice.

Peter GABRIEL nous a démontré jusqu'ici une irrépressible envie de sans cesse aller de l'avant, quitte à prendre le contre pied de ses dernières tentatives, histoire de ne perdre aucunes pistes en cours de route. Qui aurait pu croire que le revirement qu'il allait emprunter cette fois-ci serait aussi radical ? Avec son titre annonciateur, le célèbre Sledgehammer, Peter Gabriel s'ouvre en 1986 avec l'album So les portes de la reconnaissance internationale, appuyé par une imagerie puissante (les clips du titre précité, mais aussi Big Time) qui l'aidera à s'imposer au travers des média télévisuels.

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Excepté ces deux titres, So n'a pourtant pas le profil d'un album radio. C'est toutefois une révolution : l'album porte cette fois un titre, et GABRIEL s'affiche cette fois très clairement dans une superbe photo en noir et blanc. Avec Daniel LANOIS aux manettes, artisan de la crédibilité artistique de U2 aux côtés de Brian ENO, ce premier disque renoue avec l'exubérance de sa toute première réalisation. Le son est chirurgical, le moindre cliquetis est perceptible, c'est un travail de production monumental. Et les compositions ne sont pas en reste ! Elles allient exigeance d'écriture et efficacité mélodique. On est peut-être loin des ambiances travaillées et personnelles qui nous régalaient, mais force est d'admettre que des titres comme Don't Give Up, In Your Eyes ou Mercy Street restent du bel ouvrage. En se révélant aux autres, GABRIEL se révèle à lui-même et accentue encore d'un cran sa subtile équation de vulgarisateur de talent. Il faudra cependant attendre six ans avant que So ne donne le jour à un successeur. Entretemps, GABRIEL va mener deux projets de front, l'un se réalisant à travers l'autre. Nullement découragé par la mauvaise expérience Womad, notre homme table désormais sur la création de son propre label. Le siège central se situera à Bath, dans le Surrey anglais, et il donnera à son studio, courtisée par les artistes du monde entier et dont la réputation n'est plus à faire, Realworld. Plus personne aujourd'hui ne peut ignorer l'apport du label qui porte le même nom, qui a réussi la gageure de crédibiliser les musiques du monde, en créant un nouveau créneau porteur auquel les firmes de disque n'accordait au final que peu d'importance. C'est par le biais de son label qu'il imposera et fera connaître des artistes aussi cruciaux que Remmy ONGALA, Geoffrey ORYEMA, Sheila CHANDRA, et plus que tout, Nusrat Fateh Ali KHAN. Il se servira d'ailleurs de ce formidable bagage pour injecter les ingrédients nécessaires au premier geste fort du label qui sera la publication durant l'été 1989 la nouvelle musique originale de film réalisée par GABRIEL.

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C'est Passion (1989), la bande son du controversé La Dernière Tentation du Christ de Martin SCORSESE. Si d'albums en albums, GABRIEL affichait une forme impériale qui lui permit d'affiner à chaque fois un peu plus chaques traits, il est conscient d'être arrivé à un aboutissement avec ce disque qui réunit en son sein toutes ses exigeances en matière de production, son goût immodéré pour les musiques d'Afrique et d'ailleurs, lyrisme, spiritualité, corps et esprit.


En 1990, une compilation du nom de Shaking the Tree : Sixteen Golden Greats apparaîtra sur le marché pour calmer l'attente d'un nouveau réel album studio qui tarde à venir. Mis à part une réinterprétation splendide piano/voix de Here Comes the Flood, cette compilation, si elle représente dans un ordre dénué de toute logique ses titres les plus fameux, demeure trop disparate pour permettre à l'initié de pénétrer dans l'oeuvre de l'artiste, à chaque fois singulière. Et comme pour contredire cette affirmation, l'album du retour, Us (1992), laissera peu à peu à l'enthousiasme débordant des retrouvailles le goût de trop peu et une certaine forme de lassitude.

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Si le titre avant coureur, Digging in the Dirt est un titre imparable, des titres comme Steam ou Kiss that Frog ne peuvent trahir une volonté de rééditer l'exploit de Sledgehammer et Big Time. Même Don't Give Up a son ersatz avec un nouveau duo GABRIEL/O'CONNOR sur Blood of Eden, remplaçant l'irremplaçable Kate BUSH. Us est à l'image de So un gros oeuvre, un travail de titan où la minutie avec laquelle les pièces ont été assemblées confine à l'horlogerie. Si l'album est clinquant et beau, il ne possède pas la profondeur de So et sonne en bout de course téléphoné. Une redite et un constat assez amer après une si longue attente. Bien sûr, il y a comme toujours des pièces sublimes (Fourteen Black Paintings) mais même dans ces occasions la spontanéité disparaît au profit d'un exercice de style que l'on croirait gratuit. GABRIEL va s'engager ensuite sur une tournée longue durée qui se terminera à cheval sur 1994 et 1995. Entretemps, il aura trouvé l'occasion de se pencher sur la réalisation de deux jeux vidéo (Xplora et Eve), de la mise en chantier d'un parc à thème et de laisser briller un de ses titres inédits, Lovetown, sur la bande son du film oscarisé Philadelphia.


Les années passent et en dépit de quelques titres perdus sur des compilations (Diana, Princess of Wales) ou d'autres musiques de films (Virtuosity, City of Angels), GABRIEL semble ne plus donner de signe d'activité débordante. C'est qu'il planche sur la musique du spectacle du millénaire, au Millenium Dome de Londres prévu pour l'an 2000. Le projet porte un nom et s'intitule Ovo. Là encore, malgré quelques belles réussites (Father, Son, White Ashes qui laissent transparaître une certaine gravité) et quelques bonnes idées au travers de rencontres orchestrées autour de noms aussi prometteurs que Richie HAVENS, Paul BUCHANAN (The Blue Nile), Elisabeth FRASER (Cocteau Twins), la musique n'arrive pas à s'élever comme le faisait Passion et semble, elle, avoir besoin inconditionnellement de se nourrir du spectacle qu'elle était sensée illustrer afin d'exister en tant que telle. Long Walk Home est publié deux ans plus tard ; une nouvelle musique du film, celle de Rabbit Proof Fence, mais toujours pas d'album studio, le dernier en date, Us, ayant été publié il y a déjà de cela dix ans. Là encore, on est plus proche de Birdy que de Passion, pour sa recherche de textures, inspirées ici des musiques aborigènes. Toutefois, contrairement à Birdy, la mélodie de certaines plages lèvent un coin du voile sur celle de l'album à venir (Cloudless). On sait déjà tout du dernier né ; on savait par exemple depuis bien longtemps qu'il s'appelerait Up, mais on avait fini par ne plus y croire.

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Up sort donc en septembre 2002 et fait tout l'effet inverse de Us. C'est un album difficile qui ne se laisse pas séduire tout de suite, et qui grandit en vous au fur et à mesure. GABRIEL ne renoue pas vraiment avec sa grande époque, bien que différents éléments s'y retrouvent (les percussions, les orchestrations, les musiques du monde), mais l'essai est bien plus concluant que Us car il ne s'agit pas de redite. Il n'y a aussi, pour ainsi dire, quasi aucun signe de concessions (le seul single potentiel étant The Barry Williams Show qui, c'est un comble, n'est pas du tout crédible). Pour tout dire, il s'agit là de son album le plus personnel, bien plus introspectif encore que son second. GABRIEL y expose les thèmes universels de la vie et de la mort dans un cadre à l'apparente austerité glacée mais qui dissimule de véritables bulles d'émotions (Darkness, Sky Blue, I Grieve, My Head Sounds Like That). Ceux qui attendaient un nouveau Sledgehammer en ont pour leurs frais. Ceux qui attendaient GABRIEL sont comblés et retrouvent des couleurs. Du coup, l'actualité se précipite : une gigantesque tournée mondiale débute fin de l'année 2002 sur le continent Américain et, qui l'eut cru ?, un nouvel album du titre énigmatique de I/O est annoncé pour 2004...

(D.S)

Quelques liens sur le sujet: 

http://petergabriel.com