val.jpg (17039 bytes)

 

 

 

Progital.jpg (33362 bytes)

Dossier

10 groupes pour en finir avec le progressif italien

par Domenico Solazzo

 

Nous avons déjà parlé dans ces colonnes des ténors de la scène progressive italienne ; qu'il s'agisse du néo-classique BANCO DEL MUTUO SOCCORSO, des symphoniques LE ORME et PREMIATA FORNERIA MARCONI, ou de l'avant-gardiste AREA... Bien que je ne sois pas du type à vouer un culte aveugle à tout ce qui fait du côté transalpin (bien au contraire), je ne peux que m'incliner face à la qualité des leurs productions musicales  dans le giron progressif, issues dans les années soixante-dix. Il n'est pas question non plus de faire une fixation ; les italiens n'ont pas été les seuls à embarquer sur le navire. L'Angleterre reste, quoi qu'on en dise, le vivier le plus important de formations en tout genre, talonné de très près par l'Allemagne. Chacuns avec leur style propre. Mais l'Italie se distingue par une sensibilité particulière que, sans pouvoir éviter la redondance, on qualifiera de latine et qui, pourtant, ne se retrouve pas chez des artistes espagnols comme TRIANA, par exemple.

Ce petit chapitre va donc tenter d'extraire de cette quantité incroyable de groupes quelques unes des figures les plus singulières, souvent à l'origine d'un seul et unique disque, mais quels disques ; souvent, des bombes, des canons, des références absolues dont même les plus grands n'arrivent pas aux
chevilles !

ballettodibronzoys.jpg (8740 bytes)

IL BALLETTO DI BRONZO YS

Je sais que j'ai répété ça un millier de fois pour une floppée de disque, mais là, très sincèrement, je crois que l'on tient notre chef-d'oeuvre absolu, LE disque progressif de tous les temps, toutes catégories confondues. Ys est L'Album ! En fait, avant la venue de Gianni LEONE, IL BALLETTO DI BRONZO était un groupe psychédélique. J'en veux pour preuve leur premier album, Sirio 2222, paru en 1970. Mais en 1972, avec la venue de ce
claviériste dément et/ou démentiel, c'est toute l'architecture du groupe qui est revue et corrigée. Je suis loin d'avoir tout entendu et tout écouté, mais j'ai le sentiment que sur aucun autre disque on entend un mellotron maltraîté de la sorte. Le discours est passionnel, sombre et surréaliste. Imaginez... Imaginez des voix féminines évanescentes mi-ange mi démon qui introduisent un passage solennel à l'orgue ; rien de plus idéal pour planter un décor. Les musiciens vont peu à peu se greffer sur la toile, et il n'y a rien à redire. Le son de la basse est profond et son rythme obsédant, la batterie nous rappelle le jeu d'un Michael GILES et pour finir les chorus de guitare sont tout simplement incendiaires. C'est 21st Century Schizoid Man de KING CRIMSON, mais plus encore la force et la puissance évocatrice de ce morceau d'anthologie, étalé sur tout un album ! On pourrait faire la fine bouche en critiquant une voix un peu trop haut perchée, aux accents parfois heavy metal, mais sur la longueur, Ys est un concept album
proprement stupéfiant qui a sa place dans toutes les bonnes collections de disques qui se respectent.

 

celeste.jpg (1488 bytes)

CELESTE PRINCIPE DI GIORNO

C'est tardivement que CELESTE publie son premier véritable album (en dépit d'une musique de film parue deux ans plus tôt) : Principe di Giorno sort donc en 1976, et si IL BALLETTO DI BRONZO utilisait le mellotron pour lui faire vômir ses tripes, ici nous sommes aux antipodes d'une telle démarche puisque CELESTE va tirer parti de ce magnifique instrument pour broder des nappes d'un calme olympien et d'un bienfait apaisant. Aérien, atmosphérique, vaporeux, il incarne la quintessence même de ce que le progressif transaplin a pu créer de plus délicat et de plus subtil. Avec l'intervention d'instruments aussi divers que le saxophone, la flûte ou la guitare acoustique, Principe di Giorno est fait de mille couleurs que la plénitude apparente de sa pochette ne demande qu'à révéler. CELESTE nous a pondu là la bande sonore d'un rêve éveillé.

 

duellomadre.jpg (13351 bytes)

DUELLO MADRE DUELLO MADRE

Peu d'information à se mettre sous la dent pour ce groupe qui, tout de même, nous propose une de ces galettes pas piquées des hannetons ! Vous avez adorez les deux premiers KING CRIMSON ? Vous aimez les relans jazzy de SOFT MACHINE ? N'allez pas plus loin ; Duello Madre  est fait pour vous. Avec cette production chaude et cotonneuse que l'on retrouvait partout à l'époque, le groupe italien nous offre sans doute le disque d'Italie se rapporchant le plus, et le premier, de l'école, dite, de Canterbury. Si le saxophone donne de la voix et le ton général, c'est surtout la basse qui focalise toute notre attention ; on a droit à un vrai festival, sans verser, à aucun moment, dans la démonstration stérile. C'est un disque généreux, vivant, au feeling intense et dont les vibrations résonnent encore après chaque écoute.

 

locandadellefate.jpg (10383 bytes)

LOCANDA DELLE FATE FORSE LE LUCCIOLE NON SI AMANO PIU

L'album de LOCANDA DELLE FATE est considéré, et à juste titre, comme le dernier classique du rock symphonique transalpin. Seul disque de l'histoire du groupe, sa notoriété poussera d'abord le label Mellow à publier un live sans intérêt,ensuite le groupe à se reformer quinze ans plus tard, pour une suite qui n'a comme seule et triste répercussion que de ternir l'image d'un disque qui se suffisait à lui-même. Publié sur Polydor en 1977, Forse le Lucciole non si Amano piu est gorgée de cette mélancolie qui fait de Wind & Wuthering le disque le plus introverti et le plus sensible de toute la carrière de GENESIS. Pas moins de sept musiciens travaillent à l'exécution d'un album aux thèmes enchevêtrés et aux mélodies d'orfèvre qui mettra à genoux tout amateur de belles choses. Si le disque véhicule une sensibilité à fleur de peau, il n'en est pas pour autant fait de guimauve ; la complexité des arrangements renvoyant, elle, aux plus belles heures d'un GENTLE GIANT.

 

maxophone.jpg (11849 bytes)

MAXOPHONE MAXOPHONE

Avec un chanteur au timbre évoquant à la fois Peter GABRIEL, Phil COLLINS et Zucchero FORNACCIARI, MAXOPHONE était assuré de rencontrer un succès public. D'ailleurs, pour la peine, une version anglaise a été enregistrée. Et, comme c'est souvent le cas, elle est loin d'égaler la version originale. Pourtant, malgré cet "atout", l'essence même de Maxophone (1975) repose sur les six multi instrumentistes qui le constitue, tous issus de formations classiques ou d'avant-garde. La musique ne souffre pourtant pas de l'hermétisme qui découle trop souvent de ces courants. C'est même plutôt tout le contraire ; tirant les enseignements de ce qui leur a été inculqué, et allant piocher dans les folklores traditionnels l'âme nécessaire à l'achèvement d'une musique qui se veut vivante, les membres de MAXOPHONE font partis de ces prodigieux talents qui stimulent les sens grâce à leur esprit de synthèse. On trouve de tout dans ce disque ; du jazz, du rock, du néo-classique, du pastoral, du lithurgique, de l'avant-garde, du minimalisme, même du gospel ! Tout cela sans choquer le moins du monde. Tous ces thèmes s'imbriquant les uns les autres dans une parfaite harmonie, faisant de ce disque un des plus riches au niveau de sa texture ; qu'il s'agisse de vibraphone, de harpe, de violon, de saxophone, une quantité faramineuse d'instruments auront été nécessaires à la constitution de cet univers, au final, empli de délicatesse et d'un raffinement extrême.

 

museorosenbach.jpg (8765 bytes)


MUSEO ROSENBACH ZARATHUSTRA

Auteur d'un concept album qui, bien évidemment, parle de la condition humaine, MUSEO ROSENBACH fait partie de cette école dite de "hard symphonique" qui, à l'instar d'un BALLETTO DI BRONZO, n'hésite pas à opter pour une dureté de ton, d'autant plus stigmatisée qu'elle est souvent utilisée comme valeur de contraste. Là aussi, la référence étant bien évidemment le KING CRIMSON première époque. Mis à part la flûte, vous
retrouverez ici tous les éléments qui font de In the Court of the Crimson King un disque intemporel : une grosse louche de mellotron, des passages plus apaisés laissant sous entendre la venue d'une tempête prochaine faite de constructions alambiquées et torturées. Paru en 1973, il y a aussi plus d'un rapprochement à faire avec le père de toute l'école progressive italienne ; BANCO, dont il partage à peu de choses près la même approche (même le chanteur l'évoque dans ses intonations). Pas aussi allumé que le seul album de SEMIRAMIS, Zarathustra satisfera sans le moindre problème les amateurs lesplus acharnés des groupes précités.

 

picchiodalpozzo.jpg (14595 bytes)

PICCHIO DAL POZZO PICCHIO DAL POZZO

Auteur de deux albums (dont le second n'a toujours pas fait l'objet de réédition à ce jour, on commence à connaître la chanson), PICCHIO DAL POZZO jouit subitement, depuis moins d'un an, d'une solide réputation que la publication de bandes inédites, sous le titre Cammer Zimmer Rooms, par le label américain Cuneiform, ne démentira pas. Au lieu de vous pencher sur ces fonds de tiroirs, sympathiques mais pas transcendants, je vais rédiger ce compte rendu tel un supplique pour vous inviter à tenter l'expérience et découvrir leur album éponyme de 1976. Picchio di Pozzo est un incroyable tour de force, l'album imaginaire d'une réunion ponctuelle de tous les membres de la scène de Canterbury sur un disque...pourtant réalisé en Italie ! Qu'il s'agisse des vocalises à la WYATT, ses mélodies poignantes et sa folie douce, qu'il s'agisse des passages planants à la GONG ou des interventions incandescantes au saxophone renvoyant à NUCLEUS, ainsi que les arrangements précieux d'un HATFIELD AND THE NORTH ou
NATIONAL HEALTH, ce groupe italien, venu de nulle part, réussi un sans faute absolument renversant. Album tout en douceur, il s'éloigne fatalement des standards du progressif italien. Mais il n'en demeure pas moins un grand disque.

 

pierrotlunaire.jpg (7285 bytes)         gudrun.jpg (5036 bytes)

PIERROT LUNAIRE PIERROT LUNAIRE , GUDRUN

Tout comme OPUS AVANTRA, mais à rebours, le groupe d'Arturo STALTERI, PIERROT LUNAIRE, va voguer d'une musique aux teintes néo-classique et folk assez prononcées (Pierrot Lunaire) à une aventure expérimentale et avant-gardiste unique en son genre (Gudrun). Alors que ces deux disques partagent une sonorité semblable, situant leur différence au niveau des objectifs visés, beaucoup privilégient l'un plutôt que l'autre, le premier remportant souvent les faveurs des amateurs de musique aux relans champêtres alors que le second se voit élevé au rang de disque culte par les fans inconditionnels de R.I.O. et de musique de chambre. En réalité, ces deux albums sont complémentaires dans leur diversité, l'analyse d'un même aspect selon deux angles de vue différents. Pierrot Lunaire, paru en 1974, est alors dominé par le son des guitares acoustiques, de la flûte et même un peu de sitar. De courtes plages romantiques aux fragrances folkloriques que viennent souligner de frêles interventions vocales. Peu ou presque pas de passages où une rythmique classique (basse, batterie) aurait l'occasion de s'exprimer. Gudrun (1976), quant à lui, dernier témoignage avant le split final, voit l'arrivée de Jaqueline DARBY au chant et qui laissera longtemps des traces indélébiles dans l'esprit de ceux qui se seront risqués à l'écoute prolongé de l'étrange et pourtant fascinant Plaisir d'Amour, sur fond sonore sursaturé. Farouchement original et décalé, et pour tout dire franchement éloigné de ce que l'on peut attendre du progressif italien, Gudrun fera les beaux jours de ceux qui aiment être surpris. Et il y a matière à l'être. Un disque comme celui-là ne se révélant qu'après moultes écoutes.

 

quellavecchialocanda.jpg (15258 bytes)        iltempodellagioia.jpg (13847 bytes)

QUELLA VECCHIA LOCANDA QUELLA VECCHIA LOCANDA, IL TEMPO DELLA GIOIA

Groupe à la carrière éclair mais qui relève d'une importance capitale dans le paysage progressif italien, QUELLA VECCHIA LOCANDA est probablement le groupe (et pas seulement italien) qui a le mieux réussi la synthèse entre musique de chambre et rock progressif. Au départ, pourtant, rien ne laissait présager une telle direction ; son premier album éponyme de 1972 faisant figure, on le sait, de JETHRO TULL survitaminé, de la guitare bluesy à la flûte typique et expressive. Le son général évoque, oui, on peut le dire, le hard rock de l'époque, c'est donc peu dire que l'étape suivante était assez inattendue. Enfin, presque, puisqu'on peut en percevoir les prémices sur des titres comme Prologo, en ouverture et Sogno, Risveglio, E... en bout de course. Et puis, quand je dis inattendue, c'est plutôt et surtout étonnant. Étonnant comme revirement, mais étonnant comme réussite ! Il Tempo della Gioia (1973) ne comporte quasi plus aucune trace de cette hargne développée il y a seulement un an de cela, et c'est à renfort de large section d'instruments à cordes que le groupe va créer une des références absolues du progressif italien, une espèce de valeur étalon, un modèle du genre. Superbe, riche, profond, terriblement romantique, classisant en diable, il ne retient que les moments les plus baroques et/ou pastoraux d'un P.F.M. pour les pousser à leur extrême dans des mélodies dont le charme vous fera, à coup sûr, succomber.

 

semiramis.jpg (10163 bytes)

SEMIRAMIS DEDICATO A FRAZZ

Dernier groupe de cette sélection, Semiramis signe avec son unique Dedicato a Frazz, à l'horible pochette, le disque le plus chaotique de ceux passés en revue jusqu'ici. Autour d'une formation assez conventionnelle, l'atout majeur provient pourtant de la présence appuyée d'un xylophone qui vient en contrepoint d'une musique comme résultante d'un collage surréaliste. Les parties de guitare acoustique renvoyant au folklore local ne dissimulent
pas très longtemps des assauts guitaristiques électrifiées à vous faire grimper aux rideaux. Les thèmes se suivent, déstructurées, démembrées, sur lesquels un chanteur vient agoniser de sa voix complètement possédée. Des sons étranges parcourent cette succession de titres cours où l'on pourra même retrouver du clavecin ! Si cette énigmatique pochette se veut l'illustration de la folie, elle a été bien choisie, tant vous risquez de finir avec la même tête à la fin de son écoute...Un cas unique, un poison lent qui possèdera très vite les esprits les plus maléables et que je recommande chaudement à tout amateur de curiosités complètement barrées.



Dix groupes à l'histoire éphemère. C'est beaucoup. Et encore, pas assez. Car on ne vous a pas parlé d'Arti+Mestieri, de Biglietto per L'Inferno, de Blocco Mentale, de Campo di Marte, de Dedalus, de De De Lind, de Garybaldi, de Jacula, de Murple, d'Osanna, d'Il Paese di Balocchi, de Pholas Dactylus...